16 mai 2006

«Le prix des billets sera plus élevé mais pas inabordable»

LIBERATION publie dans son édition du 15 mai un entretien avec Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d'Air France recueilli par Nathalie BENSAHEL.

Combien coûte la hausse du pétrole au passager d'Air France ?

Nous venons d'augmenter la surcharge carburant de 7 euros sur les vols long-courriers. Cela porte à 51 euros en moyenne le poids de cette surcharge dans le prix d'un billet. Sur ce front, nous sommes plutôt en retrait par rapport à la Lufthansa et à peu près à égalité avec British Airways ou KLM. De manière générale, nous essayons de calculer en moyenne les besoins de kérosène des vols long-courriers, qui sont les vols où les dépenses en carburant sont les plus importantes. Par rapport à ces dépenses, la surcharge que nous encaissons équilibre à peine le surcoût lié à l'augmentation du prix du pétrole.

Vous ne travaillez pas à perte. Comment rentrez-vous dans vos comptes ?

Comme nous réajustons en permanence les prix en fonction de la demande de sièges, nous pouvons jouer sur plusieurs leviers pour optimiser nos recettes. Densifier le remplissage des avions en développant l'offre à bas prix, densifier aussi «les hautes contributions», c'est-à-dire la demande de business et de première classe. De manière générale, les surcharges des hautes contributions rentrent correctement dans les caisses de la compagnie, ce qui n'est pas le cas en classe économique, où le poids de la surcharge dans le prix complet est plus fort et donc plus difficile à transférer au passager.

Pendant combien de temps allez-vous pouvoir augmenter ces surcharges ?

Une donnée a échappé aux experts il y a deux ans : cette crise pétrolière est la conséquence d'une croissance très vigoureuse, avec une demande de carburant très forte et une offre qui ne croit pas suffisamment. L'économie mondiale progresse de près de 5 % chaque année, et ce dynamisme se traduit dans toutes les activités, notamment par un besoin soutenu de transports.

Voilà pourquoi, contrairement aux autres chocs pétroliers, l'augmentation du prix du pétrole ne provoque pas l'effondrement de notre secteur. Les commandes d'avions n'ont jamais été aussi nombreuses, Airbus sort de ses chaînes trente A 320 par mois, et la demande des passagers ne donne aucun signe de faiblesse. L'explosion de la Chine et de l'Inde révèle des besoins de plus en plus importants de déplacements.

Y a-t-il un seuil au-delà duquel la hausse du brut devient intolérable ?

Ne soyons pas alarmistes. Nous n'y sommes pas. D'abord parce que nous n'avons pas d'évaluation précise des ressources et des réserves. Mais globalement, nous savons que les réserves pétrolières sont aujourd'hui bien plus élevées qu'en 1974 lors du premier choc pétrolier, qui fut dévastateur sur l'économie mondiale. En outre, plus le pétrole sera cher, plus on ira chercher dans des réserves qui sont aujourd'hui trop complexes à exploiter. Bref, côté ressources, on a encore du temps. Et coté consommation aussi. En dix ans, nous avons économisé 14 % de ce que nous dépensions en carburant par passager. Et si nous avions la même flotte qu'en 1998, le kérosène nous coûterait 425 millions d'euros supplémentaires [sur 3,6 milliards d'euros de carburant dépensés en 2006, ndlr].

Combien de temps pourrez-vous tenir une telle pression ?

Longtemps. Rappelez-vous le prix d'un Paris-New York il y a quarante ans. C'était beaucoup plus cher qu'aujourd'hui, où on peut aller de l'autre côté de l'Atlantique pour 250 dollars. Voilà pourquoi, même avec un pétrole à 100 dollars ou à 150 dollars, la demande de transport subsistera et le prix des billets sera plus élevé, mais ne sera pas inabordable.

Avec un baril à 100 dollars, à combien évaluez vous la surcharge pour le client ?

A environ 70 euros. D'ailleurs, à ce prix-là, la vraie question est de savoir s'il n'y aura pas de plus en plus de passagers professionnels, dont les déplacements sont payés par les entreprises, et moins de touristes. Aujourd'hui rien ne permet de le dire. Depuis deux ans, nous constatons une très grande capacité d'adaptation des passagers à la hausse des prix. Pour autant qu'elle soit progressive et que les clients continuent de supporter une partie de la surcharge, comme ils le font actuellement, nous pouvons espérer maintenir nos équilibres et être tranquilles encore quelques années.

Et que se passe-t-il si le baril grimpe brutalement à 150 dollars ?

Nous devons augmenter instantanément notre chiffre d'affaires de 25 %, et donc imposer une hausse des tarifs de 25 %. Dans ces conditions, c'est certain, nous basculons dans le drame. Nos avions se vident en classe éco et nous sommes rapidement en surcapacité. En revanche, si j'ai cinq ans pour le faire, et avec une politique prudente de couverture, j'y arrive peut-être... et même certainement.

Pour me joindre : artduservice@gmail.com

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